Erkan - prince d’Izmir-sur-le-Rhin

Repérer Erkan

Un beau jour, la petite bobo que vous êtes (puisque vous lisez cette rubrique écrite et dessinée par de petites bobos) a découvert que les Turcs sont les Allemands les plus sexy d’Allemagne. C’est un phénomène bien normal, qui concerne toute expatriée au pays de Goethe. Jusque là, vous n’aviez adressé la parole aux Turcs que pour leur ordonner, avec un accent bien franchouillard, de ne pas mettre d’oignons dans votre döner. Mais après quelques temps passés auprès de « ton chuans » teutons parfaitement dépourvus de sens du rythme, abonnés aux sandales de rando à scratch et prêts à vous donner une leçon de morale pour la moindre clope allumée à un kilomètre d’une femme enceinte, le jeune Erkan, qui vous drague depuis un an sur son banc avec ses potes, vous est apparu comme le Messie.

Un fin collier de barbe, une fine chaîne en or, un fin débardeur sur ses fins pectoraux dorés même en hiver, un fin nez de finaud qui ne fait pas la fine bouche devant votre croupe lorsqu’elle lui passe sous le nez, des yeux finement ourlés de cils noirs qui lui font comme un trait d’eye-liner qu’on dirait que c’est Néfertiti ma parole : Erkan est sérieusement sexy, quand on le regarde de près et qu’on oublie son style vestimentaire volé dans un clip de Usher. Fan de Galatasaray autant que d’Hertha, il apprécie aussi beaucoup les maillots de foot en nylon aux couleurs criardes.

En boîte de nuit, il met le feu. Quand on le laisse y entrer, s’entend. Ca vous change de Peter, votre ex de Düsseldorf, qui dansait comme un étron. (C’est peut-être pour cela que les garçons comme Erkan ne rentrent jamais en boîte de nuit, non ? Parce qu’ils dansent mieux que les Allemands ? Blague. C’est parce que les boîtes de nuit sont racistes. Blague, évidemment.)

L’Erkan se dégotte un peu partout en Allemagne qui, paraît-il, serait la deuxième Turquie. Erkan aime les centre-villes blindés de bagnoles, ce qui lui donne l’occasion de traverser n’importe comment avec un sourire princier. Bien plus viril que d’attendre au feu rouge que la voiture immobilisée cent mètres plus loin ne démarre, comme toutes ces fillettes de Teutons. (Non ? Blague).

Comment le séduire

C’est triste à dire, mais ce n’est pas compliqué. Erkan n’a pas beaucoup l’habitude que les Françaises, encore moins les Allemandes, lui rendent ses œillades et ses coups de sifflet. Heiss ! Heiss ! siffle-t-il chaque fois sur votre passage. Retournez-vous, faites un sourire, et arrêtez-vous une seconde. Maintenant, observez comment Erkan, que vous aviez toujours pris pour un chaud lapin sans cœur, se mue en prince romantique, par simple reconnaissance pour votre naïf salut. Vous risquez fort bien de repartir sous un flot de compliments, les bras chargés de fleurs, des petits cœurs dessinés tout autour de son numéro de téléphone. Jamais ferrer un beau gosse n’aura été si facile. (La faute au racisme. Blague. Non ?)

Le choc culturel

Au début, vous serez une princesse. Erkan vous exhibera fièrement comme un trésor et tous ses amis vous accueilleront comme l’une des leurs ; vos copines seront foutrement jalouses de votre mec au corps d’Adonis et au bagou fleuri.

Mais bien vite, vous allez être complètement déroutée. Car en sortant avec un Erkan, on sort en réalité avec un véritable réseau social au code culturel parfaitement cryptique. Il y a la mère d’Erkan, dite Dieu-le-Père, une femme toute-puissante aux redoutables recettes de baklava que jamais, non jamais, vous ne saurez imiter, en dépit de tous vos efforts. Il y a ses copines voilées et celles qui mettent des décolletés de Beyoncé – et vous ne savez plus sur quel pied danser. Mais surtout, surtout il y a ses copains, qui vous détruisent des yeux dès que vous osez regarder un peu trop longtemps le boulanger ou même le clodo du coin. On ne badine pas avec l’honneur d’Erkan. D’ailleurs, Erkan a secrètement juré de donner une leçon éternelle à tous vos ex. Même le garçon avec qui vous avez joué à touche-pipi à l’âge de quatre ans, à la maternelle de Boulogne-sur-Mer.

Et puis vraiment, il est un peu gonflé, Erkan, de vous reprocher votre paresse pourtant justifiée. C’est fatigant d’être étudiante ! Tandis que pour lui, c’est simple, sa voie est toute tracée. Il reprendra le camion à falafels de Papa, basta. Pas de tergiversations métaphysiques, pas de choix cornélien entre un master en sciences sociales et une thèse sur les chevaliers de l’an mille au Lac de Paladru. Certes, il devra bosser les dimanches et les samedi soirs aussi. Mais justement, à quand remonte votre dernière nuit de folie en club ? La dernière fois, la seule fois que son père a daigné lui laisser une soirée libre, on l’a laissé devant la porte, il avait encore mis ses baskets, il ne pouvait pas faire un peu attention ?! Et puis flûte, vous ne vous comprenez plus.

Comment le larguer

Vous vous exposez à un danger de mort violente en quittant le prince d’Izmir-sur-le-Rhin. Ses copines, ses copains, ses parents, ses cousins, tout le monde vous en veut. Ne lui faites pas le coup d’être devenue lesbienne, à moins de vouloir qu’Erkan, lui aussi, ne jure votre mort (s’il y a bien quelque chose qu’Erkan ne comprend pas, c’est comment une fille peut fourrer sa langue dans l’oreille d’une autre fille.) N’oubliez pas que la fierté d’Erkan est ce qui vous a séduite au départ. Ne blessez pas le tigre. Dites-lui plutôt que vous l’adorez, mais que vous savez déjà que vous ne voudrez jamais fonder de famille, que les mômes vous dégoûtent et que vous détestez définitivement faire la cuisine. Erkan devrait effacer votre numéro sans même que vous le lui ayez demandé.

Manon & Marie