Gregor - le facho du nu

Repérer Gregor

Le cheveu libre, la silhouette tonique, la sandale à scratch bien alerte et surtout, surtout, surtout, la kikounette à l’air : Gregor est un ami de la nature, un indécrottable hippie, un enfant de la Freikörperkultur (FKK) – la culture du corps libre, cette belle tradition allemande qui fait rire et / ou terrorise les petits enfants espagnols sur les plages de Majorque depuis des décennies.

Né à Fribourg, où, à quinze ans, il s’est tant ennuyé qu’il a failli se suicider à l’ecstasy, il a cependant gardé en déménageant à Berlin un vrai amour de la nature, héritage d’une enfance passée à observer les daim-daims s’empapaouter dans la Forêt Noire derrière de larges troncs de pins odorants avec ses petits camarades d’école. Pour lui, être nu c’est être soi. C’est être un daim-daim prêt à aimer son prochain n’importe où, n’importe quand ; faire l’amour devant être, selon la phrase de Lénine qui a bercé ses rêves masturbatoires adolescents, « aussi simple que boire un verre d’eau ». Dès les premiers rayons de soleil du printemps, le Gregor se précipite dans les bois encerclant les lacs du Brandebourg, armé seulement de sa zigounette, de ses sandales à scratch et de son barbecue. Car sans saucisses, Gregor ne serait pas Gregor, Gregor ne serait pas allemand.

Un peu intello, Gregor est ingénieur du son pour le cinéma documentaire. Il participe à la confection de films chiants sur les bergers du Südtirol, programmés à trois heures du mat’ sur Arte. Quand il n’est pas en train de tendre sa perche dans un trou perdu, on le trouve donc au bord des lacs l’été et, l’hiver, au sauna.

Comment le séduire

Vous avez donc repéré le Gregor au sauna, lors des premiers frissons automnaux. Vous qui, Française prude du popotin, n’osez pas faire tomber votre bikini, vous êtes trouvée irrésistiblement attirée par ce jeune Teuton diablement sain qui lit Karl Marx nu dans les vapeurs de la cabine, sa jolie kikounette germaine alanguie sur le bois de bouleau du banc. Attendrissez-le en lui demandant comment il fait pour se sentir si libre avec son corps. Racontez-lui à quel point vous êtes victime de votre éducation religieuse, prisonnière des conventions bourgeoises à la Française, dites-lui à quel point ce carcan vous étouffe. Bref, vous voulez apprendre. Hop ! Voilà votre bikini qui saute ! Avec un peu de bol, l’espèce de bouddha mangeur de saucisses qui s’est tapi dans un coin du sauna avec sa triple bouée abdominale ne vous verra pas escalader le Gregor, la vue masquée par un gros nuage de vapeur salutaire.

Le choc culturel

A priori, vous et Gregor, ça peut durer un certain temps. Car après tout, c’est vraiment sympa de se balader à poil, de faire l’amour dans la nature comme des petits lapins, de ne jamais sentir de regard culpabilisant sur sa sexualité, etc, etc, etc. Pour une Française, c’est sacrément rafraîchissant. Le problème, c’est quand vous ramenez Gregor en France et qu’il fait une gueule de cent kilomètres d’Autobahn de long à la vue du panneau « Nudité interdite » dans les douches de la piscine municipale de Maisons-Alfort. Puis il se met à alpaguer les types sous les douches en leur demandant en français avec son gros accent de Fribourg : « Pourquoi fous afez un problème afec fotre corps dans ce pays, fous êtes fous ! » et persiste malgré les regards mi-rigolards, mi-épouvantés des bœufs français qui se demandent si votre Prinz de la nature est un hippie attardé ou une grosse tapette à mouches. Vous avez beau lui expliquer que vous préféreriez qu’il ne se désape pas devant votre père sur la plage de Palavas-les-Flots – il se met à tenter de convaincre votre géniteur des bienfaits innombrables du naturisme et du problème mental des Français pétris de pudeur catho… tandis que Papa, les sourcils froncés, se demande, lui aussi, si Fifille chérie ne serait pas tombée sur un pédé refoulé. Choc culturel, bonjour.

Comment le larguer

Au-delà des problèmes familiaux évidents qui risquent de faire de vos Noëls un enfer, il est surtout fort probable que l’animal, fidèle à sa philosophie léninienne de l’amour-verre d’eau, vous trompe un jour avec tout ce qui bouge dans la forêt. Française, on vous dit libertine mais vous êtes surtout, avouons-le, possessive à mort et prête à défoncer le vaisselier si vous le preniez sur le fait. Fuyez avant que le pire ne se produise (un traumatisme crânien dû à un lancer de mug « Meilleur collègue de l’année » à la tête de votre ex bien-aimé). Retrouvez les joies du bikini, faites votre Parisienne : ongles laqués, sandales précieuses qui ne supportent pas la randonnée dans les ronces. Epouvantez-vous à la vue des algues, des insectes ; pleurez à voix haute votre nostalgie des vagues méditerranéennes devant le plat paysage des lacs brandebourgeois. Puis refusez ses saucisses pour cause de régime. Injure suprême, le refus de saucisse. Exaspéré, ce faux hippie ne saurait tarder à vous ramener en ville pour pouvoir s’adonner seul aux plaisirs du nu intégral et de l’amour libre.

Manon & Marie