Le style Tokio Hotel : Regards croisés sur le groupe en vogue en Allemagne et en France
De grosses gouttes de sang perlent du cœur imprimé sur le tee-shirt à rayures roses et noirs de la petite fille délicate. Elle porte des chucks “échiquier” et un grand sac militaire garni de plusieurs broches bigarrées aux motifs d’étoiles, de cubes et de cerises juteuses qui se révèlent être des crânes ricaneurs quand on regarde de plus près. Une grande fleur artificielle resplendit sur la bande à boutons de sa veste noire. C’est elle le prototype féminin de la nouvelle génération « emo » et c’est Bill de Tokio Hotel qui la fait crier.
A l’origine : un mouvement marginal du punk hardcore, un peu plus orienté vers les sentiments, la tristesse et la mélancolie. Le courant “emo” (emotional hardcore) s’apprête à devenir une vraie tendance du mainstream pour les ados de 10 à 16 ans. Habillés en rose criard, ces anges déchus approchent la mort à pas feutrés. Ils mêlent l’innocence et la mort dans un paradoxe provoquant qui évoque les images morbides de Magritte.
Ce que Mylène Farmer a réalisé grâce à ses vastes actions de merchandising dans les années 90, c’est-à-dire la commercialisation du mal de vivre, prend une toute nouvelle dimension avec Tokio Hotel. On ne peut pas affirmer que chaque “emo” est un fan de Tokio Hotel et que chaque fan du groupe se déclare lui-même “emo”, mais on ne peut pas nier que les quatre garçons sont complètement à la mode.
Subtile mélange de plusieurs courants branchés : le punk, la fascination persistante des B.D.s japonaises, des attitudes gothics et des allures androgynes qui rappelle de loin les travestissements des grands groupes du j-rock comme Malice Mizer ou Dir en grey, les jeunes vedettes ont incontestablement contribué à populariser ce mouvement.
Mais Tokio Hotel est-il vraiment le nouveau “groupe noir” ?
Certainement pas. Comme les adhérents du style gothic, au moins dans sa forme pure et originale, représentent une esthétique très travaillée, avec des allusions et des repères dans les oeuvres de Nietzsche, de Hesse ou de Baudelaire, les nouveaux “emo-ados” ressemblent plutôt à des enfants ayant trouvé le khôl de leur grande soeur. Cette génération veut d’abord jouer.
Il semble que le phénomène d’identification l’emporte largement sur un éventuel contenu idéologique. Le courant est davantage une mode promue par la culture pop. Et c’est aussi cette tendance commerciale qui agace les adversaires de Tokio Hotel. Le groupe qui est catégoriquement boycotté par la plupart des stations de radio, polarise en Allemagne plus qu’ailleurs. C’est normal : les “vrais” amateurs du rock se plaignent du niveau faible de la musique, des paroles ridicules. Mais c’est cette attitude “tristesse” si artificielle et calculée qui tape le plus sur les nerfs.
La démarcation entre fan et non-fan est claire et nette : on les aime ou on les déteste. En fin du compte, c’est la distinction entre les prétendus raisonnables, ceux qui savent, et les sentimentaux, ceux qui croient à l’authenticité du groupe et à leur histoire attendrissante d’une passion pour la musique.
Bien sûr, Tokio Hotel est un produit lancé sur le marché par des experts. Les quatre, et avant tout le chanteur Bill qui incarne le plus cet air noir et mystérieux, sont parfaitement mis en scène. L’amalgame de ces différents courants ouvre un grand potentiel d’identification. Ils sont des acteurs d’un scénario pré-écrit, ce n’est un secret pour personne.
Bien sûr on aurait préféré un autre ambassadeur de la culture allemande. Mais pourquoi se plaindre ? A chaque génération son expérience !
Sources :