Munich, capitale du théâtre allemand ?
Aux Rencontres théâtrales de Berlin, festival printanier qui présente le meilleur de la scène germanophone, Munich est surreprésentée. La ville bavaroise est-elle la capitale du théâtre allemand d’excellence ? Éléments d’explication.
La palme de l’excellence théâtrale revient cette année à Munich. Depuis 1963, les Rencontres théâtrales de Berlin prennent le pouls de la production théâtrale germanophone. Chaque année, un jury composé de sept critiques de théâtre sillonne le pays, visionne plus de 300 productions et sélectionne les 10 plus remarquables. Celles-ci sont ensuite invitées à se produire, au mois de mai, dans la capitale. Une vitrine d’excellence et un état des lieux. La moitié des pièces choisies cette année viennent de Munich.
Elles sortent du Residenztheater et des Münchner Kammerspiele, deux théâtres ayant pignon sur rue : en plein centre de la ville, ils bordent la très chic Maximilianstraße, avoisinant Chanel, Dior et Hermès. Le premier est une scène nationale, le second une scène municipale ; ils font partie de ce fameux réseau allemand unique au monde de Staat- et Stadttheaters, disposant d’ensembles permanents qui présentent un programme de répertoire, garants d’une culture classique, subventionnée et établie. Pour les Kammerspiele, c’est la 43e invitation aux Rencontres – le plus invité des théâtres allemands.
Excellence théâtrale
Qu’est-ce qui fait l’excellence théâtrale de Munich? Une culture distincte de celle du reste du pays ? Une aisance financière exceptionnelle ? Pour Christoph Leibold, membre munichois du jury des Rencontres, cette qualité hors-pair est plutôt le fruit d’une succession de choix pertinents. La ville a les moyens, certes, mais surtout la main heureuse dans le choix des directeurs de théâtre. Succédant à Frank Baumbauer aux Kammerspiele, le Néerlandais Johan Simons a relevé le défi de l’excellence. “Il a réellement internationalisé le théâtre. Il ne s’est pas contenté, comme le font beaucoup, d’inviter de temps à autre un artiste étranger. Il a intégré des influences étrangères au programme de façon systématique et cohérente.” Et façonné ainsi un programme dont la pertinence a une résonance européenne. Le directeur aime d’ailleurs répéter que “les Kammerspiele se trouvent au centre de Munich, qui se trouve au centre de l’Europe”.
Si Munich se distingue par ses scènes d’exception, il faut cependant préciser qu’il s’agit de théâtres favorisant les artistes déjà bien établis, qui produisent des pièces tirées pour la plupart du répertoire classique. Or, le théâtre de demain – créé collectivement, jouant avec les formes de (re)présentations, explorant de nouvelles utilisations des lieux – émerge plutôt de la scène indépendante : la fameuse “Freie Szene”, expression qui désigne le théâtre produit en-dehors du grand réseau des Staat- et Stadttheaters, vivier de liberté artistique, d’innovations et de prises de risques. Étonnamment, cette scène indépendante est très réduite à Munich. Christoph Leibold nuance : “Elle n’est pas si petite, mais elle manque d’opportunités pour s’épanouir. C’est certainement dû au fait qu’il n’y a pas de lieu d’accueil fixe qui lui donnerait de réelles chances de se développer” – un théâtre comme les Sophiensaele de Berlin ou le Kampnagel de Hambourg. Un tel lieu serait difficile à concevoir dans la capitale bavaroise notamment à cause du prix de l’immobilier : Munich est la ville la plus chère d’Allemagne, or le théâtre indépendant, largement sous-subventionné par rapport aux scènes institutionnelles, se contente en général de conditions précaires. Pour l’innovation théâtrale, il faut donc aller à Berlin, la “pauvre mais sexy” capitale du théâtre indépendant, avec ses 300 compagnies et plus de 30 théâtres hors institutions.
Tradition du théâtre populaire
“Il y a quand même une tradition théâtrale spécifique à Munich”, précise Christoph Leibold, “même si je ne suis pas certain qu’elle contribue à cette excellence que nous évoquons”. C’est la tradition du “Volkstheater”, le théâtre populaire, spécialité que la Bavière partage d’ailleurs avec l’Autriche, région culturellement très proche. Il s’agit de théâtres, privés en général, qui livrent des comédies de mœurs destinées à un large public. “Sans oublier tous ces auteurs régionaux, comme Marieluise Fleißer, Thomas Bernhard, Martin Sperr, très ancrés dans la région et particulièrement appréciés ici. Une pièce de Fassbinder a une toute autre résonance à Munich qu’ailleurs.” Notons que traditions populaires et attachement aux auteurs locaux contribuent certainement à cultiver un public a priori avide de théâtre.
Dans quelques mois, Johan Simons quittera Munich. L’internationalisation des Kammerspiele est assurée et pour poursuivre son œuvre, il a fallu trouver une pointure. C’est donc le Berlinois Matthias Lilienthal qui prendra le relais, après avoir prouvé, en tant que directeur du Hebbel am Ufer de Berlin, son aptitude à façonner un lieu où se produit avec succès l’avant-garde d’excellence locale comme internationale. Si ses goûts artistiques et son carnet d’adresses ont été déterminants dans sa sélection, son attitude informelle et décontractée pourrait trancher avec l’ambiance petite-bourgeoise cossue qui domine à Munich. “Comme directeur artistique, nul doute qu’il fera un excellent travail. Munich devra par contre s’habituer à sa personnalité !” constate, amusé et curieux, Christophe Leibold. On n’a pas fini d’entendre parler du théâtre de Munich.
TEXTE : NATHALIE FRANK
Source : ParisBerlin
Article original : Munich, capitale du théâtre allemand ?